Des céréales émergentes dans notre alimentation et nos paysages : état des lieux et futur de ces filières. Exemple du millet. 

Merci à Clara Lhoest pour la rédaction de cet article

Chaque année la l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) met à l’honneur une denrée alimentaire et crée une campagne de sensibilisation autour de celle-ci. Cette année 2023 c’est la famille des millets qui a été choisie (voir le site FAO). Cela nous a inspiré et nous a donné envie dans le cadre du festival de la transition alimentaire Nourrir Liège de se rassembler autour d’un repas solidaire à base de millet, parce que “NOURRIR Liège, right?”.

Et, à l’instar de ce qui avait déjà été réalisé en 2022 autour du chanvre (lire l’article), nous avons voulu réunir les acteur·trices des filières céréalières belge autour d’une table ronde afin de faire l’état des lieux de la situation et d’imaginer le futur des céréales émergentes en Belgique (sarrasin, blés anciens, “quinoa”, etc) en prenant le millet comme exemple . 

Pourquoi avoir choisi le Millet ? 

Il peut sembler paradoxal de mettre en avant une céréale qui n’est même pas cultivée, ni même cuisinée traditionnellement en Belgique. Néanmoins, le millet est consommé en Belgique en particulier par la diaspora africaine et étant donné que l’alimentation est une forme universelle de partage, en s’ouvrant à de nouveaux produits et de nouveaux goûts c’est aussi une autre manière de faire société et le Millet a aussi la particularité d’être une céréale sans gluten et riche en minéraux, facile à cultiver. C’est l’idée derrière la sensibilisation à de nouvelles denrées alimentaires comme d’autres variétés de céréales. De plus, cela nous permet de nous ouvrir à la diversification de nos cultures et de notre alimentation tout en préservant la diversité des formes de vie de la terre, pour plus de résilience globale. (voir article Le millet un atout pour la résilience alimentaire)

Quel est l’état des lieux actuel de cette filière en Belgique? 

Actuellement peu de données existent sur la production et la consommation de millet en Belgique. 

Production

La production de cette céréale a pu être expérimentée en Belgique, entre autres par “Land, Farm & Men, le groupement de producteur.rices derrière la marque Graines de Curieux. Les chiffres les plus actuels (2021) fournis par BioWallonie sont de l’ordre 7 producteur.rices avec une catégorie “Autres céréales : blé dur, sorgho, millet et alpiste” pour un total de 44,53 ha. Dans ces hectares, le millet n’en représente donc bien qu’une partie. Il est possible qu’il y ait également des productions conventionnelles, celles-ci n’étant pas reprises dans ces chiffres. 

Consommation 

Food & Feed 

Cette filière reste une filière de niche. Le millet est commercialisé pour l’alimentation humaine principalement via des magasins spécialisés et via la grande distribution (Delhaize, Carrefour, Farmz, etc) et pour l’alimentation animale via des graineterie. Les céréales émergentes peuvent également être utilisées en boulangerie pour diversifier la production mais également répondre à des marchés de niche comme les consommateur.rices de produits sans gluten. C’est ce que fait d’ailleurs la boulangerie l’Alternative (Theux) qui propose une sélection de pains 100% sans gluten, comprenant entre autres des pains composés de millet (7). 

Autre

Depuis peu, la marque belge de coussins à base de cosses de millet (d’origine française et 100% bio) “Millet Pillow a vu jour, ce qui ouvre le champ des possibilités pour ces céréales (5,6). 

Quel futur possible pour le Millet en Belgique ? 

Dans un monde où l’industrialisation de l’agriculture a standardisé nos façons de produire, nos machines, nos variétés et notre alimentation, il semble important dans une optique de transition de nos systèmes alimentaires de s’ouvrir à la diversité et aux alternatives. Il semble donc pertinent de sensibiliser et redécouvrir des céréales émergentes mais surtout oubliées, et réfléchir ensemble à leur éventuelle place dans nos systèmes alimentaires de demain. C’est ce qui a été fait lors de cette table ronde et voici ce que nous avons pu mettre en avant : 

Les atouts les plus intéressants du millet qui ont été mis en avant sont les atouts agronomiques, principalement face aux changements climatiques et à l’occurrence plus fréquente d’épisodes climatiques extrêmes comme des sécheresses et inondations. De fait, c’est une culture résistante à la sécheresse (4), qui couvre bien le sol (= réduction des adventices) et dont l’utilisation dans les rotations permettrait de les rallonger et de diversifier les cultures pour plus de résilience via une diminution de la sensibilité aux maladies, aux adventices et aux variations du marché. De plus, elle semble adaptée aux conditions locales et facile à mener et à moissonner (=récolter), tout en fournissant de bons rendements. Elle permet également d’être flexible dans le calendrier cultural soit car elle peut être implantée tardivement et donc remplacer une culture qui n’aurait pas repris soit en récolte précoce pour la valorisation en alimentation animale. 

L’inconvénient le plus important est le fait qu’il n’existe pas encore, en amont, de débouchés et de filière pour cette céréale. Et cela semble compromis car les prix des céréales émergentes, comme les blés anciens, sont toujours comparés au prix des blés modernes et/ou aux prix des pays de l’Est exportateurs (Pologne, Ukraine, Roumanie). Ensuite se pose le problème d’existence d’outils technologiques et logistiques adaptés au développement de cette filière : outils diversifiés et adaptés pour sa culture, sa récolte, sa transformation, son stockage, et par conséquent l’existence d’investissements importants pour développer ces outils. 

Alors comment relocaliser des produits comme les céréales émergentes et créer des filières durables? 

Face à ces constats, comment faire pour trouver une place pour ces céréales dans notre futur alimentaire ?  

Plusieurs propositions ont été formulées durant ces discussions : 

  • Partir des consommateur.rices et aller vers la production, c’est-à-dire qu’il faudrait d’abord évaluer la consommation annuelle belge et ensuite organiser la production localement sur base de ces chiffres. Cela doit être fait en considérant que les moyens de commercialisation s’adapteront aussi. 
  • Développer les marchés de niches autour de ces nouveaux produits (exemples: lait végétaux, farines sans gluten, etc)
  • Changer les habitudes alimentaire via :
    – L’intégration de ces nouveaux produits directement dans des produits finis pour les faire plus facilement découvrir aux consommateur.rices
    – L’utilisation d’ambassadeur.rices. La Belgique est un pays très cosmopolite et hétéroclite. Bruxelles est d’ailleurs la deuxième ville la plus cosmopolite du monde, avec 62% d’habitants nés à l’étranger, on y parle 104 langues et on y croise 184 nationalités (1,2,3). On a donc une alimentation cosmopolite à l’image de notre brassage culturel. On pourrait dès lors valoriser ces produits dans des restaurants mettant en avant une cuisine qui les intègre déjà traditionnellement car rattachée à une nationalité, ou via des restaurants désireux de tester de nouveaux produits, ou encore via des restaurant et/ou chaînes de restauration prônant la nouveauté et la durabilité (exemple: Exki, Pain Quotidien, etc).

Ici on a proposé des solutions pour développer une filière durable pour des nouveaux produits comme le millet en Belgique. Et on parle souvent de l’importance de la relocalisation alimentaire. La COP 27 l’a mentionné dans son agenda et le plan de relance a investi 45 millions d’euros dans des projets de relocalisation (8,9). Pourtant cela semble difficile dans un pays où la population ainsi que l’alimentation sont aussi cosmopolites, de relocaliser la diversité de produits consommés. Surtout dans un contexte climatique critique qui implique de réfléchir à l’impact environnemental de nos productions et dans un contexte où la surface agricole utile diminue de jour en jour. Est-ce qu’il n’y a pas un paradoxe dans cela ? Est-ce que l’autonomie alimentaire est vraiment un but pertinent au niveau national ? Et est-ce qu’il ne faudrait pas prendre en considération une relocalisation alimentaire plus large et coopérative, passant au-delà de nos frontières ? Dans cette optique, il faudrait en plus de prendre en considération le développement de filières locales durables, considérer les filières exportatrices déjà existantes. 

Comme on peut le constater de nombreuses interrogations demeurent, quoi qu’il en soit le repas (gratin millet champignons; verrine au millet) partagé suite à cette table ronde et réunissant plus de 130 personnes au Manège Fonck de Liège a été un vrai succès (voir les photos). 

Participant.es à la table ronde :

  • Clara Lhoest : Ingénieure agronome et co-organisatrice du festival Nourrir Liège pour la Ceinture Aliment-Terre Liégeoise – Animatrice de la table ronde
  • Raschad Al-Khafaji : Directeur du bureau de liaison de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) à Bruxelles
  • Anna Kovacs : Ingénieure agronome et stagiaire chez Biowallonie
  • Eddy Montignies : Ingénieur agronome indépendant, co-fondateur de Graines de Curieux et fondateur de Brioaa, institut de recherche pour l’agriculture et l’agroécologie bio
  • Pierre Hennen : Boulanger et fondateur la boulangerie l’Alternative  (sans gluten)
  • Margot Vanhecke  : Liaison avec le monde académique et la société civile au bureau de liaison de la FAO à Bruxelles
  • Marie-Claude Olory : Présidente de l’ASBL Ayonnah et à l’initiative d’une ferme biologique au Bénin
  • Colette Duez & Sékou Diabaté : biologiste/microbiologiste ULiège & comptable, ont cultivé ensemble du millet à Liège (sur les terrains de l’Université au Sart Tilman). 

Merci à Alexandra Tits et Carine Nardellotto pour le rapportage de cette table ronde.

Voir l’article (en anglais) publié par la FAO : https://www.fao.org/brussels/news/news-detail/millets-rich-in-heritage-full-of-potential—also-in-belgium/en 


Sources

  1. https://highlevelcom.be/fr/65214-une-ville-quatre-fois-capitale.html#:~:text=La%20premi%C3%A8re%20question%20est%20%C3%A9vidente,sa%20population%20a%20profond%C3%A9ment%20mut%C3%A9.
  2. https://www.lesoir.be/21934/article/2016-01-18/bruxelles-est-la-deuxieme-ville-la-plus-cosmopolite-au-monde  
  3. https://www.rtbf.be/article/bruxelles-ville-la-plus-internationale-au-monde-apres-dubai-9122859 
  4. https://www.rtbf.be/article/moins-de-viande-dans-nos-assiettes-plus-de-graines-9808761 
  5. https://www.millet-pillow.com/ 
  6. https://www.rtbf.be/article/champlon-deux-jeunes-entrepreneurs-ont-cree-un-oreiller-multi-confort-avec-des-cosses-de-millet-100-bio-11135758 
  7. https://boulangerielalternative.be/ 
  8. https://www.rtbf.be/article/independance-alimentaire-les-projets-wallons-emergent-mais-la-relocalisation-demande-du-temps-11100578 

Suite à cette table-ronde c’est déroulé le « banquet solidaire » autour du Millet (voir photos), réunissant plus de 130 personnes qui ont toutes fortement apprécié les plats préparés par l’asbl Echafaudage suite à une formation donnée par Dada, cuisinière originaire de RDC soutenue par le collectif Migrations Libres (qui a bénéficié des repas suspendus). Nous tenons à la remercier tout particulièrement pour sa forte implication et le succès de cet événement !