Merci à notre stagiaire Sophie Deflandre pour la rédaction de cet article et la préparation de la Journée Chanvre du festival Nourrir Liège 2022

Le Chanvre, une plante dont beaucoup ont déjà entendu parler, mais que très peu connaissent réellement. En effet, la culture du chanvre qui était encore très présente à la fin du 18ᵉ siècle, n’est maintenant plus qu’au stade de balbutiements en Belgique[1, 4].

Avant de nous intéresser plus particulièrement à cette filière, il est important de comprendre ce qu’est concrètement le chanvre. Bien moins connue que sa proche cousine, la plante de cannabis, mais faisant également partie de la même espèce des Cannabis sativa L. Une des seules différences existantes entre ces 2 sous-espèces, et non des moindres, est leur taux de THC. En effet, le chanvre industriel (aussi connu sous le nom Sativa) a un taux de THC inférieur à 0.2%, ce qui lui enlève les effets psychotropes que l’on retrouve chez la plante de cannabis (faisant partie de la sous-espèce Indica). Une troisième sous-espèce, appelée Ruderalis, est quant à elle la forme sauvage de la famille.[3]

Mais pourquoi est-il si intéressant de relancer la filière du chanvre ?

Dès le 17e siècle, le chanvre était considéré comme une réelle opportunité. Il était notamment utilisé dans l’industrie textile, la fabrication de papier ou encore dans la marine à voiles pour le cordage et les voiles.

L’arrivée des matières synthétiques ainsi que l’interdiction du cannabis ont fortement réduit l’activité de l’agriculture du chanvre. La France, un des leaders dans ce domaine, est un des rares pays ayant continué de s’investir dans cette filière malgré la baisse drastique des terrains occupés pour la production de chanvre. Les producteurs français ont notamment continué leurs activités grâce au besoin en papier à rouler. Ils ont, depuis les dernières décennies, vu leur filière de chanvre croitre à nouveau de manière assez impressionnante. En effet, de nombreux débouchés sont possibles, en particulier dans l’alimentation humaine et animale, et chaque sous-produit de la plante peut être utilisé pour différentes applications.

De plus, la culture de chanvre se fait généralement de façon biologique, les plantes souffrant très rarement de maladies et ayant une très bonne croissance (jusqu’à 20 cm par jour [5]). Les cultures sont également reconnues pour absorber de grandes quantités de CO2 (jusqu’à 3 tonnes par hectare). La production de chanvre est donc une solution prometteuse pour réduire nos émissions de gaz à effets de serre ainsi que la pollution de nos sols.

Comment utiliser le chanvre ?

La plante de chanvre permet de récolter 4 sous-produits intéressants [2,3] :

  • Les graines :

Ce sont 11% du poids de la production de chanvre totale et 21% de la valeur économique [2]. Elles peuvent être utilisées dans l’alimentation humaine ou animale ainsi que dans les cosmétiques. Les applications les plus répandues sont la réalisation de farine ou d’huile, de par leurs propriétés nutritives. Elles sont en effet riches en oméga 3 et 6, en protéines et en fibres.

  • Les fibres :

C’est le premier sous-produit provenant de la tige de la plante, récoltée sous forme de paille (8 tonnes produites par hectare, correspond à 89% du poids et à 79% de la  valeur économique [2]). Elles sont souvent utilisées dans l’industrie textile (les fibres étant proches du lin), pour le papier ou bien comme isolant sous forme de laine de chanvre.

  • La chènevotte :

C’est le second sous-produit provenant de la paille, elle correspond au cœur de la tige. Ceci est utilisé comme paillage, litière et surtout en construction pour la production de béton chaux-chanvre avec un bon pouvoir d’isolation thermique et acoustique.

  • Les fleurs: Ce dernier sous-produit est un peu particulier car il ne peut pas être cueilli dans notre pays. En effet, ce sont les fleurs qui contiennent les molécules d’intérêts, notamment le CBD, bien connu pour leurs consommations.

Pour traiter ces produits, principalement la paille pour l’industrie textile, plusieurs étapes sont nécessaires [2] :

  1. Rouissage du chanvre[1] et récolte
  2. Défibrage
  3. Lavage
  4. Filage et tissage

Il est intéressant de noter que les opportunités présentées ci-dessus ne sont qu’une petite partie des applications qu’il est possible de réaliser à base de chanvre. Des recherches sont en cours, notamment dans d’autres secteurs tel que celui de l’automobile. Les fibres de chanvre pourraient être utilisées pour remplacer le plastique, par exemple, pour la fabrication des tableaux de bord [6]. Les possibilités de développement de cette filière sont, comme nous pouvons le voir, très étendues.

Quel avenir pour la Belgique ?

Grâce à ses nombreuses qualités et opportunités de développement possibles, le chanvre a clairement un potentiel d’avenir très intéressant. En effet, la demande en produits durables et locaux est en croissance et le chanvre pourrait en partie répondre à ce besoin. De plus, cela augmenterait la diversification du revenu agricole et créerait de nouveaux emplois. Le challenge reste de reconstruire une filière solide qui pourra assurer la pérennité de ce secteur et des acteurs qui y seront engagés.

De nouvelles initiatives et projets se mettent en place pour sensibiliser et faire connaitre la production du chanvre. Diverses organisations ont d’ailleurs vu le jour il y a quelques années, mais elles n’ont malheureusement pas rencontré le succès espéré. Il faudra donc coordonner tous les acteurs pour réussir à faire avancer les choses en apprenant des erreurs du passé.

 En ce moment, la majorité des acteurs de la filière du chanvre n’ont d’autres choix que de travailler avec d’autres pays pour s’approvisionner ou encore traiter le chanvre [1]. Néanmoins, une collaboration avec des acteurs déjà bien implémentés, tels que ceux présents en France, sera certainement nécessaire pour relancer l’activité belge. De nombreux freins bloquent la croissance de la filière dans nos régions. Les outillages et machines nécessaires à la récolte et au traitement de la paille ne sont pas encore très développés en Belgique, rendant la production de chanvre assez challengeant.

Dans le cadre du festival nourrir Liège 2022, La Ceinture Aliment-Terre Liégeoise a souhaité consacrer une journée aux acteurs du secteur. En effet, la thématique du festival étant « santé et alimentation », nous avons souhaitez faire un focus sur cette plante bénéfique à la fois pour l’humain mais aussi les sols.  L’apport protéinique du chanvre a été souligné avec la présence des pâtes au chanvre (Goffards Sisters) produites avec la Farine de Cannavie mais aussi du pain au chanvre (Au Four et Au Jardin) et des cookies chanvre-chocolat (boulangerie Chez Dolci’s) réalisés à base de la farine du producteur Chanvre de Hergicourt. Ce moment a permis de se retrouver pour discuter autour de la thématique et ainsi mieux comprendre les besoins et permettre de soutenir ce secteur prometteur en communiquant auprès du public liégeois, vous pouvez retrouver l’enregistrement audio sur ce lien.

Quelle est la situation des acteurs belges du secteur ?

Lors de la journée dédiée au chanvre, organisée le 10 mai 2022 dans le cadre de Nourrir Liège, 6 acteurs belges de la filière se sont réunis pour discuter des enjeux et des opportunités du secteur[2]. Tous très motivés par le développement de cette filière, au vu des opportunités d’applications et des bienfaits du chanvre, ils rencontrent néanmoins de gros freins pour se développer comme ils le souhaiteraient.

Le premier frein qui touche au développement de la culture du chanvre en Belgique, est lié aux moyens de récolte et de traitement des sous-produits. Le chanvre est une plante robuste qui peut s’adapter assez facilement à de nombreuses situations météorologiques, mais nécessite des outils adaptés pour la récolte et le traitement de la paille principalement. Le plus gros manquement concerne l’absence d’usine de transformation, à l’instar de BE.Hemp, société de défibrage mécanique qui a fait faillite en 2019. Ainsi, lorsque cette usine a vu le jour en 2016, une centaine de producteurs s’étaient lancés sur une surface cultivée équivalente à 500 hectares. Nous sommes maintenant retombés à moins de 100 hectares en culture. L’intérêt est présent, mais la Belgique n’est pas équipée pour suivre la production, ou du moins les moyens ne sont pas fournis au secteur. Des solutions, comme l’utilisation d’usines présentes en Normandie pour la culture de lin, pourraient être envisagées, mais il faudra du temps et des investissements pour créer ce genre d’usines en Belgique. De plus, d’autres pays comme la France ont des procédés brevetés pour la fabrication du paillage par exemple (processus d’hydroliage), l’expertise belge est donc moindre à ce stade et il faudrait plus de moyens pour reproduire des techniques similaires. De nombreux concurrents sont également présents dans les pays de l’Est et proposent des produits à prix réduits, rendant le marché avec des grossistes difficile à développer. D’autres problèmes techniques existent tel que l’utilisation du paillage une fois les graines récoltées. Nous ne sommes actuellement pas en mesure de gérer le surplus de paille, de moins bonne qualité, qui se retrouve en abondance après la récolte des graines.

Le deuxième aspect qui freine la filière concerne les réglementations. Au niveau de l’alimentaire ou du CBD pur, la mise sur le marché peut s’avérer très compliquée. Le chanvre et le CBD sont associés au cannabis à effets psychotropes, contenant une quantité élevée en THC et qui est évidemment interdit en Belgique. Il y a alors une méconnaissance concernant le chanvre et sa consommation. Les lois sont déjà très strictes en matière de seuil légal permis en THC, spécialement pour l’alimentaire, mais s’ajoute à cela un manque d’informations des contrôleurs ou même de la police, qui considèrent parfois le chanvre alimentaire comme une drogue. En alimentation, il ne faut pas plus de 10 mgr en THC et les contrôles sont très stricts, pour un milligramme, le produit est déclassé. Les seuils sont bas et ne laissent aucune marge de manœuvre alors que le taux de THC dans les plantes ou dans l’alimentaire, peut légèrement varier assez facilement (en particulier en fonction des conditions climatiques). Il faut donc un suivi régulier qui coute beaucoup d’argent au producteur et fait augmenter les prix de vente des produits. S’ajoute à tout cela le manque de cohérence entre les différents contrôleurs. L’AFSCA et le SPF santé ne demandent même pas les mêmes analyses, ce qui rend encore plus dur le travail et la compréhension des producteurs. Sans mentionner, qu’en fonction du laboratoire utilisé, les résultats peuvent parfois varier. La tâche est d’autant plus compliquée que l’analyse chez le producteur ne suffit pas toujours. Les revendeurs doivent également être en mesure de prouver que leurs produits suivent bien les réglementations, il faut donc faire suivre les validations à chaque maillon de la chaine. Cela peut freiner beaucoup de revendeurs qui ne voudraient pas prendre le risque de ne pas avoir les autorisations suffisantes. Il peut même s’avérer impossible d’avoir toutes les informations nécessaires pour être en ordre. Un acteur de la filière a déjà essayé de savoir ce qu’il devait mettre en place pour être aux normes, il n’a jamais reçu de réponses et après coup a reçu une amende, n’étant pas en règle. Il existe de nombreuses aberrances dans les réglementations et les contrôles se positionnent en répresseurs et non en accompagnants de la filière.

Pour conclure, la filière du chanvre belge est prometteuse et a le mérite de se battre pour faire connaitre les bienfaits de cette culture. Il n’existe cependant, pas encore, un soutien suffisant permettant de développer la filière avec des moyens et des réglementations convenables. Les acteurs belges sont encore au stade de précurseurs et vont devoir garder patience, encore un certain moment, le temps que la filière soit vraiment reconnue et soutenue. C’est en ce sens que s’inscrivait la journée chanvre du festival Nourrir Liège 2022, qui souhaitait à son échelle mettre en lumière les producteurs locaux.

Acteurs du secteur belge :

  • Chez Marie-Jeanne* :  Ateliers/Formations et anciennement E-shop, produits variés à base de chanvre (non alimentaire à l’heure actuelle)  ;
  • ValBiom* : Stimule et facilite la concrétisation d’initiatives durables intégrant la production de biomasse et sa transformation en énergies et matériaux, gestion de la filière du chanvre en Wallonie, travaille principalement sur le développement de la filière textile, création d’un comité d’utilisateurs chanvre ;
  • CBXmedical : Produits à destination des pharmacies et formations sur le CBD médical ;
  • Goffard sisters* : Fabrication de pâtes ;
  • Chanvre de Hergicourt* : Culture et production d’huile, farine et graines de chanvre + essais de débouchés pour la paille ;
  • Cannavie* : Vente de produits (alimentaires, cosmétiques et paillages), a sa propre culture de chanvre dans le brabant wallon (va bientôt faire 15 ha)  ;
  • PURchanvre : Produit et commercialise huile et graines pour l’alimentaire et la cosmétique ;
  • BB.Green labyrinthe : Culture de chanvre servant de Labyrinthe et production de bières ;
  • The good soap : Production et réalisation de savons liquides ;
  • Lidjeu : Réalisation de savons solides à base d’huile de chanvre ;
  • isoHemp : Bloc en chanvre pour l’isolation ;
  • Paille tech : Fabrication d’isolants en chanvre ;
  • Grow-Win* : Vente de paillages provenant de “Géochanvre” (France) ;.
  • Whana : Magasin de vente de linge de maisons ;
  • Youmiyi : Vêtements de sport ;
  • Design for resilience : Réalisation de produits textiles ;
  • Alpani : Fabrication de fibres textiles ;
  • Fleur de lice : Tissage ;
  • An’tchi : Production de textiles ;

Références :

  1. Gilson, Marie ; Kuyper, Marie. Analyse des facteurs influençant l’adoption du circuit court en tant qu’innovation verte. Louvain School of Management, Université catholique de Louvain, 2021. Prom. : Gailly, Benoît. http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:31445
  1. Géradon, C., Valbiom, & Donck, V. (2018). Présentation du tissu et des avantages du chanvre [Diapositives]. En ligne : http://www.valbiom.be/files/library/Presentations_Events/Chanvre-textile/Presentation-du-tissu-et-des-avantages-du-chanvre.pdf
  1. https://valbiomag.labiomasseenwallonie.be/news/analyse-le-chanvre-un-stupefiant
  1. http://www.chanvrewallon.be/en-belgique
  1. https://www.rtbf.be/article/le-chanvre-textile-une-plante-cousine-du-cannabis-qui-fait-rever-les-agriculteurs-wallons-10574809
  1. https://www.youtube.com/watch?v=xy3BkaIu4M4

[1]  Une fois les tiges coupées, elles resteront 4 à 6 semaines au sol pour que la chaleur et l’humidité permettent aux bactéries de se développer et de se nourrir de la pectine. Cela permettra aux fibres de se décoller.

[2] Ils sont indiqués par une * dans la liste des acteurs belges ci-dessus