Météo capricieuse, travail physique en extérieur, ravageurs et maladies, faible salaire : on savait déjà que les conditions de travail des maraîcher·ères étaient difficiles et que seul·es les plus tenaces persévéraient (lire l’article). Depuis peu, deux facteurs semblent encore complexifier la situation : le plomb et le cadmium. Ces métaux présents dans nos sols représentent une menace anxiogène pour les agriculteurs et agricultrices de la Province de Liège, mais nous sommes tous et toutes concerné·es.

Depuis le mois d’août dernier, de nouvelles directives de la commission européenne concernant l’agriculture sont entrées en vigueur. Ces dernières concernent notamment les concentrations maximales en plomb et cadmium admises dans de nombreux aliments tels que les fruits, les légumes, les céréales ou encore les oléagineux. Ces nouveaux seuils ne font pas l’unanimité dans le monde scientifique, ainsi que le témoigne Gilles Collinet, professeur en Sciences du sol à l’Université de Liège (Gembloux) : « Il n’y a pas assez d’éléments pour comprendre pourquoi on abaisse cette norme, d’autant plus que cela ne s’applique pas aux personnes qui cultivent et qui ne commercialisent pas. D’autres régions auront sans doute le même type de problème ».   

Malgré ces doutes et objections, l’AFSCA, l’organisation rassemblant tous les services en charge de l’inspection et du contrôle du secteur agro-alimentaire, a décidé d’appliquer et de faire respecter ces nouvelles directives.

Et les conséquences ne se font pas attendre : plusieurs maraîcher·ères de la province de Liège sont déjà sommé·es de retirer certains produits de la vente. Citons notamment la Ferme Dans l’assiette à Olne, pour qui la teneur en cadmium de leurs légumes-feuilles a malheureusement dépassé les nouveaux seuils. Pour ces maraîcher·ères, c’est la contrainte de trop. L’AFSCA leur laisse le droit de cultiver mais des tests devront être réalisés avant de pouvoir commercialiser leurs produits. Une incertitude supplémentaire qui rend un métier déjà difficile, pratiquement invivable.

Héritant d’une pollution des sols générée par des années d’exploitation de l’industrie minière, ces maraîcher·ères racontent avoir contacté l’AFSCA au lancement de leur projet. Aucune information quant à la pollution potentielle de leurs sols ne leur a été apportée. Plus de 7 ans plus tard, l’AFSCA fait son premier contrôle et les résultats sont sans appel : tous les légumes-feuilles sont touchés (choux, salades, bettes, ….).

Afin de bien comprendre l’impact d’un tel contrôle sur une exploitation telle que « La ferme dans l’assiette », il faut resituer le contexte général de l’agriculture belge. Malgré une majorité d’exploitation en monoculture, de plus en plus d’exploitations agricoles se tournent vers des méthodes de productions davantage respectueuses de l’environnement et de la biodiversité. Cultiver sans pesticide, à la main et au fil des saisons implique de nombreuses contraintes mais c’est le pari qu’un nombre croissant d’agriculteur·rices se lancent. Soutenu·es par des organisations telles que la Ceinture Aliment-Terre Liégeoise (CATL) ou le Réseau aliment-terre de l’arrondissement de Verviers (RaTaV), ainsi que les services agricoles de la Province de Liège, le nombre de maraîcher·ères de la province est passé de 5 à plus de 100 en 10 ans.

Cependant, rentabiliser une surface de culture de taille raisonnable nécessite de ne laisser aucun légume de côté. Le maître-mot en permaculture : la diversité. Lorsque les nouvelles réglementations appliquées par l’AFSCA imposent aux maraîcher·ères de retirer de la vente, non pas une espèce de légume, mais une famille entière tels que les légumes-feuilles, les conséquences sont donc dramatiques. En hiver et au début du printemps, ces légumes représentent la quasi-totalité de la production d’un terrain de maraîchage en région Liégeoise. Retirer certains légumes de la production n’est pas un geste anodin et remet entièrement en question le modèle de culture. Or, les alternatives à la permaculture, telle que la monoculture intensive, posent de nombreux problèmes environnementaux (pollution à l’azote, érosion des sols, perte de la biodiversité, …), qui ne sont vraisemblablement pas pris en compte, que ce soit par la commission européenne ou par l’AFSCA.

La gestion de la qualité de nos sols est un problème vaste et complexe. Il est évident que personne ne souhaite manger de légumes pollués. Cependant, attribuer l’entière responsabilité de la situation aux maraîcher·ères, sans aucune forme d’accompagnement dans le processus nécessaire de dépollution est injuste et contre-productif.

Développer une alimentation durable et saine en province de Liège nécessite de soutenir activement les maraîcher·ères proposant des modèles de culture et des valeurs en accord avec notre environnement. Dans le contexte de la perte de biodiversité et du réchauffement climatique, une vision globale et une discussion constructive entre les acteur·rices du problème est nécessaire, afin d’envisager une réponse à la hauteur des défis sanitaires et environnementaux qui nous attendent. Un enjeu que la CATL souhaite une fois encore faire entendre, nous vous invitons donc à rejoindre la Marche Citoyenne du dimanche 27 février et à nous contacter si vous souhaitez participer à l’échange organisé dans le cadre de Nourrir Liège en mai 2022.

Merci à Bertand Bastin, Stagiaire CATL, pour la rédaction de cet article. contact : bertand@catl.be

Visionner l’ensemble de l’interview des maraichers de la Ferme Dans L’Assiette :

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Source 1 : Contaminants cancérogènes : Les normes en cadmium et en plomb se durcissent (lafranceagricole.fr)

Source 2: Des maraîchers liégeois menacés de disparition à cause de la pollution du sol | Liège et sa région | 7sur7.be

Source 3 : Pollution : des maraîchers menacés de disparition suite à une décision de l’Afsca | La Dernière Heure