Depuis plusieurs années, la CATL tente de promouvoir un modèle de maraichage sur petite surface qui soit « durable » :  à la fois respectueux de l’environnement et des personnes qui produisent notre alimentation. Cela n’a rien d’évident car l’enjeu du prix des légumes – et donc de la rentabilité in fine de la production tout en conservant son accessibilité au plus grand nombre – est crucial en particulier au vu de la pénibilité du travail s’il n’est pas partagé. 

Nous conseillons ainsi vivement la lecture d’un article rédigé en 2018 « comment rendre le maraichage durable ? » qui est encore entièrement d’actualité. Si nous nous penchons sur les chiffres des installations en maraichage ces dernières années en Province de Liège, le constat est celui d’un retour à la terre très net avec plus de 100 maraichers actuellement contre 5 en 2011 ! Cette progression fulgurante ne doit cependant pas masquer la réalité puisque sur les 10 dernières années il y a eu 5 arrêts  et plusieurs maraicher.es qui ne reprendront pas leur saison en 2022. Pour certains cela fait suite aux inondations catastrophiques de l’été 2021 (lire l’article de Reporterre)  mais pour d’autres cela reflète avant tout la difficulté du travail. Un tel turnover doit alerter les pouvoirs publics, et nous tenions tout particulièrement à nous en faire l’écho. C’est un constat qui s’étend d’ailleurs  à toute la Wallonie (lire par exemple le témoignage d’une maraichère de Boneffe en Province de Namur en 2019) et surement au-delà. 

Ainsi pour tous ceux qui souhaitent se mettre « dans la peau » d’un maraicher nous reprenons ici un texte rédigé par une néo-maraichère, formée à la Ferme du Bec Hélouin en France et qui travaille depuis plus de 5 ans dans différents projets de maraichage en région liégeoise. Il souligne la nécessité d’une formation solide et avant tout le fort degré de réalisme nécessaire lorsque l’on veut se lancer dans cette activité essentielle mais à ce jour si peu rentable. 

Texte de Cécile Thibaut, Maraichère au Jardin de Longpré

Devenir maraîcher… De plus en plus nombreux sont ceux qui caressent l’envie de changer de vie, et l’aura du métier de la production de légumes séduit des personnes de tout âge et de toute origine. Seulement, c’est un métier et il ne s’improvise pas. Se former ? Oui mais comment, combien et où ?

Un jardinier n’est pas un maraîcher

A mon sens, la plus grande différence entre le jardinage et le maraîchage réside dans l’obligation de résultat. Si le jardinier plante ce qu’il a sous la main et récolte ce que son jardin lui donne, il complètera (souvent pour ses légumes d’hiver)…chez le maraîcher. Ce dernier, doit lui, obtenir une constance dans la quantité produite ainsi que dans la diversité de ce qu’il propose. Des chicons quatre semaines de suite comme seul légume car les navets ont eu trop soif et sont montés à graine ? Les clients risquent de se lasser et d’aller voir ailleurs… Deux séries de semis de salade pas assez séparées dans le temps, et c’est 200 pièces qu’il faut vendre d’un coup. Or contrairement à un vigneron qui peut stocker ses bouteilles, le maraîcher vend des produits frais, et c’est une caractéristique du métier qui est non négligeable !

C’est donc une multitude de métiers qui se cachent dans les compétences requises : être un producteur certes (c’est la partie à laquelle les apprentis-maraîchers aspirent le plus), mais également revêtir la casquette de vendeur, de logisticien, de gérant d’entreprise… Produire sans vendre c’est à coup sûr devoir jeter… Produire sans faire sa déclaration de TVA ou s’occuper de ses agréments AFSCA et c’est la survie de l’entreprise qui est en jeu ! On est loin de l’image bucolique de la récolte au soleil avec un chapeau de paille.

La plupart des aspirants au métier que je rencontre sont obsédés par la partie semis et plantation. A quelle distance, profondeur etc… Parfois à l’excès, me disant qu’aujourd’hui, ils n’ont “rien fait” car la récolte et le désherbage étaient au menu de leur journée. La réalité du métier est encore une fois éloignée des représentations qu’on s’en fait : j’estime à près de 30% la partie qui n’est pas passée au champ mais à la vente, à la relation client, à la mise à jour de son site internet, au remplissage du registre de caisse, à la commande de papiers d’emballage ou au paiement de la facture d’électricité. Dans les jardins, 40% du temps est passé à la récolte et 40% au désherbage. Alors les purins, “la” bonne manière de tailler les tomates ou encore la distance de plantation idéale entre épinards, c’est finalement une partie minoritaire du temps. Je ne veux pas dire là qu’elle n’est pas importante, mais que la différence entre les maraîchers qui s’en sortent et ceux qui croulent sous les difficultés réside peu souvent dans la technicité autour des légumes mais bien plus dans leur organisation, dans leur mode de commercialisation, dans la dextérité à la récolte, ou dans leur stratégie de désherbage.

Et ça, ça ne s’apprend pas dans les livres. Alors se former ? Cela dépend d’où l’on part. Jardiner pour soi est évidemment une bonne base car la connaissance des légumes est là. Une personne ayant déjà créé une petite entreprise aura de son côté aussi une longueur d’avance, comme quelqu’un qui aura travaillé comme vendeur sur des marchés.

Si vous caressez encore le doux rêve du métier sans jamais s’être confronté à la réalité, il faut aller demander d’urgence à votre maraîcher du coin si vous pouvez venir aux champ quelques jours. Deux conseils : ne lui dites pas que vous voulez l’aider car vous venez pour vous et qu’un débutant est rarement une aide ; et ne vous attendez pas à découvrir en quelques jours les subtilités de son plan de culture, sa recette magique pour le purin de consoude. Désherbez, récoltez et prenez le temps de vous demander si cette partie qui est celle d’un ouvrier agricole vous plait réellement car elle composera la majeure partie de vos journées si vous décidez de vous installer.

Dans le cas où ça y est, vous savez, vous avez décidez à ? vous lancer, pour vous former, il existe plusieurs scénarios :

  • Réduire son temps de travail et pouvoir travailler chez ce maraîcher un ou deux jours par semaine pendant au moins un an (avec une convention de stage, en bénévolat en asbl, en salariat saisonnier) en vous mettant d’accord avec lui que vous souhaitez vous former. Choisissez une personne qui souhaite soutenir l’installation d’autres maraîchers et qui sera prête à vous ouvrir ses livres de comptes, à vous donner tous ses conseils pour un faux-semis réussi ainsi que les raisonnements qui sous-tendent son plan de culture. C’est une option très intéressante car elle vous permet de suivre une saison dans son intégralité dans une même logique. En parallèle, je conseille de faire de nombreuses visites de ferme avec des groupements de producteurs ou d’écumer les journées portes ouvertes pour voir d’autres formes d’installation.
  • Entamer une formation longue telle celle de l’asbl CRABE (Jodoigne) qui assure théorie et pratique sur tous les plans. Les retours que j’ai eu sont que la diversité des fermes visitées permet de gagner beaucoup de temps sur des choix d’investissement, de commercialisation ou d’organisation du travail. D’autres ASBL, IFAPME, Instituts provinciaux d’agronomie assurent également des formations longues, très pratiques qui s’accompagnent de stages chez des maraichers
  • Intégrer un espace-test agricole. Encore peu répandus en Belgique, les espaces-tests permettent de se confronter au métier, souvent accompagné d’un mentor, sans avoir à assumer les investissements. On peut y rester un à trois ans avant de décider de se lancer chez soi.

Dans tous les cas, le mot d’ordre est patience, se lancer trop vite peut amener à de véritables catastrophes humaines avec faillites, divorce, et dégoût d’un métier qui faisait tant rêver.

Entre la décision de changer de métier et la première saison, il faudra parfois trois ou quatre ans.

Je vous conseille vivement de prendre des renseignements auprès du CRABE qui pourra notamment vous aiguiller sur certains choix. Si vous avez Facebook, n’hésitez pas à rejoindre le groupe maraicherensemble.be, très instructif.

La CATL vous invite par ailleurs à contacter le Service Agriculture de la Province de Liège pour ses services d’encadrement. 

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